Catherine Beaunez est née à Colombes en banlieue ouvrière dans les années 50. Ses parents sont militants chrétiens de gauche, MLP, pour l’indépendance de l’Algérie, PSU, syndicalistes, etc. Leur maison, construite avec des baraquements de prisonniers, faisait 45 m2 et là, y logeaient 6 enfants + tous les voisins, paumés du quartier, prêtres et responsables politiques qui défilaient.
De quoi faire travailler son petit cerveau – en compagnie de ses sœurs-pies – et exercer son œil observateur sur le genre humain.
Ses parents prenaient des risques dans leur vie et Catherine n’a pas eu de mal à en prendre aussi tout au long de sa vie professionnelle.
Pendant la guerre d’Algérie, dénoncé par un voisin, son père, Roger Beaunez, à l’époque secrétaire de Claude Bourdet, a fait de la prison. La DST a débarqué chez elle, à la recherche d’une liste des responsables du FLN. Catherine avait 5 ans. Sa mère, Jeannette, les voyant arriver, a rapidement mis cette liste dans une motte de beurre qu’elle lui a demandé, sous le nez des flics, de mettre dans le frigidaire. Les flics ont mis la maison à sac mais n’ont jamais trouvé la liste !
En pleine crise d’adolescence, Catherine a raté son BAC qu’elle était partie pour obtenir sans difficulté. Sa mère, intelligente, voyant que Catherine se sentait bien aux cours de dessin/peinture du lycée, l’a orientée vers une école d’Arts appliqués, Duperré, à Paris.
Catherine avait un bon bagage de culture classique mais peu de notions de perspective…Avec les modèles posant nus, elle a désappris à raisonner et appris à sentir, à regarder la vie sur le corps des humain·e·s. Les profs lui fournissent aussi matière à caricature. Et son esprit BD s’exerçait sur ses copines et copains de classe qui attendaient chaque matin la BD du jour.
Catherine n’est pas restée longtemps dans un atelier de création pour tissu, quand il a fallu trouver du travail. Les employées y calculaient perpétuellement leurs jours de congés alors qu’elle ambitionnait plus et plus aventureux.
Son père, à la fin de sa carrière, travaillant comme administrateur dans un centre de formation de journalistes, elle a eu envie de proposer ses dessins en frappant à la porte des journaux. Pas courant à l’époque (1976) pour une nana. Elle y a fait ses armes. Dessins d’humour (son truc), reportages dessinés, procès d’audience, illustrations d’articles, elle a tout essayé, jonglant comme pigiste de rédaction en rédaction. Les journaux syndicaux, les revues professionnelles, Le Monde, France-Soir, Elle…Catherine ne chôme pas.
Mais c’est un voyage au Québec qui lui a donné l’audace de créer son personnage, son alter ego. Là-bas, les rapports femmes-hommes, beaucoup plus égalitaires qu’en France, l’ont subjuguée. Un p’tit copain québécois aussi.
Au retour, elle comptait bien changer les mentalités masculines en cours dans son pays. Utopique … Catherine ne s’attendait pas à rencontrer tant de résistance !
Elle apporte alors sa touche féminine sur des sujets souvent confisqués par les hommes, sexe et politique entre autres. Elle publie dans des revues de BD (Circus), des magazines féminins (Marie-Claire), des hebdos d’actualité (Le Nouvel Observateur, Politis, L’Évènement du jeudi, Marianne). Puis elle pond rapidement un album “Mes partouzes” (1984) où il n’y avait aucune partouze et où elle soulignait les contradictions entre le côté romantique des femmes et le contexte de libération sexuelle des années 80, pas si facile à vivre… Elle continue, par ailleurs, de vivre du dessin de presse, vaille que vaille, et doit imposer son imaginaire féminin dans une presse dominée, à tous niveaux, par les hommes. Pas gagné ! Surtout dans les journaux où flirtaient encore les relents chrétiens de l’après-guerre, toute une culture ! Certains rédacteurs en chef ne comprenaient pas que son personnage n’ait ni mari, ni enfants, ni amant et accessoirement que ce soit une femme ! On la censurait. Par exemple, représenter une femme enceinte était considéré comme vulgaire. Ses sujets aussi étaient hardis, son ton parfois cru. Ça ne passait pas trop. La remise en question des comportements machistes non plus. Pas facile de se frayer un chemin. Elles n’étaient que 2 ou 3 dessinatrices dans le club très fermé des dessinateurs de presse. Elle a tout de même réussi à être publiée dans une centaine de journaux, France et étranger.
Les pays nordiques ont été beaucoup plus réceptifs à son humour, qui remet facilement en question les stéréotypes sexuels. Ses livres ont été traduits en Suède où on la comprenait et l’accueillait. Catherine aurait pu s’y installer. Mais toujours chez elle, ce réflexe de lutte pour faire entendre sa voix – de plus en plus féministe – dans son propre pays…on n’hérite pas impunément de parents militants.
En rejoignant l’Association des Femmes Journalistes en 1990, Catherine comprend plus clairement que les articles ou dessins évoquant le quotidien et la vie des femmes sont souvent écartés. Cette fois, elle est moins seule.
À la suite de l’illustration d’un dossier paru dans Télérama, elle pond un livre de dessins d’humour » On les aura ! « sur la place des femmes en politique. Elle met 8 ans avant de trouver une éditrice » féministe « qui, en le voyant tout juste sorti de chez l’imprimeur lui fait remarquer que » (s)on mari n’aime pas la couverture, elle lui fait penser à Marine Le Pen. « . Elle décide de contacter tous les salons du livre de France pour le dédicacer et éviter le pilon. Au bout d’un an, il « encombrait » les stocks de la boîte d’édition, et Catherine rachète les 4000 ex. restants pour que son livre continue de vivre sa vie. Le public et les libraires n’étaient pas chauds en 2000. Vingt ans plus tard, c’est le livre qui se vend le mieux sur ses tables de dédicace. #Metoo est passé par là.
Les mœurs évoluent, les femmes aussi. Et dans les salons, les lectrices sont au rendez-vous, non plus pour offrir ses livres à leur copain ou mari, mais pour elles-mêmes. Les petites filles aussi s’aventurent et la voyant dédicacer, lui apportent des dessins pensés, construits. Y’a de l’avenir ! Mais la profession reste majoritairement masculine.
Quelques jeunes dessinatrices de presse, formées par Charlie-Hebdo, ont pris le relai. Plus politisées, moins pressées de représenter le féminisme de leurs mères. Avec 1 ou 2enfants, l’âge aidant, elles défendent encore plus les droits des femmes !
Catherine a aussi fait du dessin en direct, pour illustrer des débats, des colloques, des stages d’entreprise. Stressant… Un travail sans filet, pas question d’être moyen·ne ou médiocre. Il faut viser juste et tout de suite.
La presse actuelle est en mauvaise posture. Internet prend le dessus, les dessins sont dévalorisés, récupérés, parfois privés de leurs bulles et de leur sens. Depuis l’attentat de Charlie-Hebdo, depuis le rachat des journaux par les grands groupes industriels, la presse engage les dessinateur.trice.s à condition de rester consensuel.le.s et lisses.
Ce qu’elle ne sait pas faire. Le rire sauve, il n’éteint pas. Il fait réfléchir, il n’est pas là pour endormir. Ses dessins la réveillent, la surprennent et la font rire. Et son seul souci, c’est qu’ils fassent rire ses lecteur.trice.s et les gardent en éveil.
Comme Catherine a été pas mal censurée, elle décide de s’autoéditer pour éviter que ses couvertures de livres soient recadrées par les éditeurs pour figurer en bonne place dans les rayons des hypermarchés. La presse devenant frileuse, elle publie ses pages-BD et ses dessins sur Facebook et Instagram. Catherine espère toujours y rejoindre de nouveaux·elles lecteur·trice·s.
C’est comme ça qu’au bout de 2 mois de confinement, en 2020, elle pond son 7ème album » On baise ? « , sorte de journal de bord de cette drôle d’expérience collective. Hélas, les salons-BD et dessins d’humour ont baissé le rideau pendant ces 2 années chaotiques et elle n’a pas pu écouler tout le stock imprimé. Sur chaque livre vendu, elle reverse 1€ au personnel soignant, qui en a bien besoin.
Elle participe aussi avec l‘association Cartooning for Peace à des ateliers dans des collèges et lycées pour éveiller les jeunes au dessin de presse. Elle en apprend beaucoup sur notre société en les écoutant parler.
Enfin, son métier a ses vertus au quotidien : lassée de voir que les résident·e·s de sa copropriété ne pratiquent pas le tri sélectif, elle réfléchit à une vingtaine de dessins humoristiques sur la propreté dans le local-poubelles. Le CS aime, il les achète. Catherine les plastifie et les accroche aux murs du local.
Un concept qui pourrait être diffusé dans d’autres copropriétés du 11ème, pour inciter les habitant·e·s à faire le tri dans la bonne humeur.
Ce 11ème auquel elle s’est attachée pour avoir fréquenté Le Picoulet et son atelier informatique, pour avoir retrouvé les élans de solidarité de son enfance dans son immeuble lors des confinements, pour avoir rencontré des habitant·e·s de toutes nationalités et des élu·e·s simples et efficaces, pour avoir chiné dans ses librairies et ses marchés, pour avoir flâné dans ses rues bigarrées et ouvert des portes-cochère où serpentent parfois quelques chemins verts, fleuris de pavés.
Les pavés… qui font corps avec l’âme populaire du quartier…
Site : catherinebeaunez.net