Je ne fais pas partie d’une famille de musiciens. Ma famille n’était pas non plus très aisée. Le fait que je me sois mise au piano classique était donc déjà un peu hors cadre. Je suis née en 1985, du côté de Poitiers. Quand j’étais petite, très tôt, j’ai commencé à me poser des questions d’ordre existentiel. Je n’ai jamais voulu être pianiste ; c’est en entendant l’Appassionata de Beethoven, une œuvre tumultueuse et forte en expression, que j’ai décidé de devenir pianiste.
J’ai donc décidé de jouer du Beethoven, alors j’ai demandé à mes parents de prendre des cours de piano. Au début, ils n’étaient pas du tout motivés. Puis, mon oncle, qui possédait un piano à Bordeaux, m’a donné son instrument. Il trouvait ça génial que je joue du piano, alors mon père a demandé à l’accordeuse si un professeur de piano était disponible près de chez nous, parce qu’en fait, je vivais en pleine campagne, loin de tout.
L’accordeuse nous indiqua que, oui, il y avait un pianiste anglais à côté de chez nous. Harold Meulie était venu justement enregistrer les dernières sonates de Beethoven, il avait 72 ans quand je l’ai rencontré. Après quelques hésitations, il accepta de me former. Je voulais absolument faire du Beethoven et lui il ne voulait pas du tout parce que c’était trop difficile de commencer par un tel compositeur, donc il m’enseigna du Bach et du Bartok, que j’ai très vite détesté. Bon, aujourd’hui, bien sûr, je respecte énormément Jean-Sébastien Bach !
Et donc, voilà ! Pendant 4 ans, il m’a vraiment formé au piano, de manière plutôt stricte, sévère et exigeante. Ce qui était vraiment bien, c’est qu’il m’a accordé 4 heures de cours par semaine. Dans ces 4 heures, il me jouait des morceaux, il m’a fait écouter l’orchestre, et il me répétait sans cesse : « Quand tu joues du piano, ça doit sonner comme un orchestre. » Cette phrase, je l’ai vraiment mémorisée et intégrée à ma pratique du piano, car le son du piano est beaucoup moins riche que celui d’un orchestre. Ensuite, il est décédé, alors que j’avais un lien vraiment privilégié avec ce pianiste de très haut niveau. J’ai appris à jouer sur un Steinway de concert, ce qui était quand même incroyable pour une fille de 10 ans. C’était un piano extrêmement puissant, avec un son très vivant.
Je me suis lancé le défi de devenir une interprète de Beethoven. Pour y parvenir, j’ai décidé de tout faire pour acquérir les connaissances et les compétences nécessaires. C’est pourquoi je me suis inscrit au conservatoire. Malheureusement, l’enseignement qui m’a été proposé ne correspondait pas du tout à mes attentes. Je ne comprenais pas le sens de ce qu’on m’enseignait, en particulier les sujets qui me semblaient inutiles par rapport à mon projet. Après mes années au conservatoire, j’ai rencontré un pianiste de grande renommée, Cyprien Katsaris. Il a été touché par ma passion pour la musique et a rapidement compris mon amour pour Beethoven. Il a été d’accord pour m’aider et me faire travailler le piano pendant quatre ans, à raison de dix heures par jour. J’avais 23 ans à ce moment-là. À ma connaissance, j’ai été une de ses seules élèves. Étant donné que je passais 8 à 10h par jour derrière mon piano, je n’avais pas la possibilité de travailler à côté.
C’est une autre belle rencontre qui m’a permis de me consacrer au piano. J’ai rencontré un abbé musicien, un hautboïste qui était à l’époque responsable du monastère bénédictin de Ligugé. Il m’a offert une opportunité inespérée. Bien que sachant que je n’étais pas chrétienne, il a appelé la responsable d’une communauté religieuse et lui à proposer de m’accueillir dans son réseau associatif. J’ai donc été accueillie par cette communauté pendant cinq ans, ce qui m’a permis de continuer mon chemin musical.
À cette époque, j’ai commencé à travailler avec Ivan Ilić, un pianiste américain d’origine serbe qui s’est installé à Bordeaux. Il m’a beaucoup encouragée à me produire en scène et à me faire connaître.
J’ai commencé à faire pas mal de concert à ce moment-là, mais je me suis blessée au bras droit ( comme beaucoup de pianistes pros.). C’est cette blessure qui m’a amené à chercher une autre voie et fait découvrir l’enseignement Marie Jaëll.
Un jour, alors que je me rendais à Bordeaux, j’ai rencontré le chanteur Antoine Sicot par hasard dans un train ! Il est connu pour sa voix de « basse profonde » dans la musique ancienne. L’ensemble Organum dont il fait partie depuis presque 45 ans à une reconnaissance importante en 2023 en étant utilisé dans la BO du Napoléon de Ridley Scott.
Il m’a parlé de l’enseignement Marie-Jaëll, et sur le coup, ça ne m’a pas vraiment intéressée. Un mois plus tard, par hasard, nous nous sommes recroisés dans ce train pour Bordeaux ! Il m’a encore dit qu’il fallait absolument que je me renseigne sur l’enseignement de Marie Jaëll. J’ai donc acheté trois livres que j’ai lus.
En cherchant les pianistes liés à cet enseignement, j’ai découvert le pianiste Irakly Avaliani. Quand je l’ai entendu jouer, je me suis dit : « c’est là que je dois aller. »
Ce qui m’a le plus marqué dans son jeu, c’est sa capacité à fluidifier le son, comme de l’eau, Le son jaillit du piano avec force et puissance tout en maintenant des attaques légères, ses nuances sont d’ une grande finesse, phénomène rare de nos jours. En d’autres termes, il maîtrise son jeu à la perfection.
Bien que très intimidée par ce grand pianiste, je l’ai contacté et il a accepté de me recevoir.
Lorsqu’il m’a entendu, il m’a dit : « votre jeu est intéressant, mais vous vous limitez techniquement.. ».
Puis : « Si vous voulez travailler avec moi, ce sera une fois par semaine. Vous devrez me suivre pendant au moins 5 ans. Les 2 premières années seront difficiles, mais il faudra s’accrocher. C’est soit ça, soit rien. »
Il a ajouté qu’il fallait tout recommencer, puisque je devais rebâtir toute ma technique à partir de zéro.
J’ai accepté. J’ai donc étudié l’enseignement de Marie Jaëll. Je l’ai mis en pratique, ce qui a été assez difficile. Après 5 ans d’études et de pratique, j’ai commencé à obtenir des résultats. À partir de la 10e année, on peut dire que ça va encore mieux !
J’ai récupéré tout mon bras droit et mes mains se sont développées. J’ai aussi acquis une meilleure sensibilité dans le jeu. Voilà. Dans cet enseignement , on apprend à libérer ses doigts et à prendre conscience de sa pensée musicale, à la former, entre autres. C’est un chemin différent qui m’a beaucoup apporté dans ma pratique actuelle. Pendant cette formation, j’ai une fois de plus peu joué de Beethoven, j’ai monté du Brahms, du Mozart, du Chopin, du Rachmaninov… Si j’ai monté la pathétique et la pastorale de Beethoven.
Parallèlement à cette étude du toucher, j’ai voulu mieux comprendre comment la musique était construite. Alors, je suis allée à la rencontre de Jean-Louis Fabre. Je n’arrivais pas à obtenir un de ses livres que j’avais commandé sur internet, ce qui nous a amenés à échanger par mail puis au téléphone et enfin à nous rencontrer au parc du Luxembourg où Marie Jaëll passait d’ailleurs beaucoup de temps !
Un jour, j’ai parlé de Jean-Louis Fabre, avec une personnalité du milieu hip-hop qui m’a dit : « Je vois très bien, c’est le youtubeur de la musique ! ». Monsieur Fabre est réellement une pointure dans le monde de l’harmonie et de l’écriture musicale, peu de personnes ont son niveau de connaissance. Il a aussi contribué à la démocratisation de la connaissance du langage musical via sa chaîne YouTube. Au-delà de ça, il a une culture vaste, maîtrise plusieurs langues vivantes et mortes.
On a beaucoup discuté, et il a accepté de m’enseigner l’harmonie. J’ai étudié avec lui pendant 8 ans. Avec lui, j’ai étudié la musique de Beethoven.
Il y a quelques années, je me suis dit : « Ça y est ! Maintenant, j’ai acquis la technique pianistique et je comprends les textes. Il ne me manque plus rien pour jouer les 32 sonates !
Mais la réalité m’a encore joué un tour, alors que je commençais à monter mes sonates j’ai reçu une commande pour une composition et ce nouveau travail m’a complètement absorbé.
Je me suis donc mise à composer et j’ai ensuite reçu une commande pour un documentaire. J’ai également composé pour des particuliers.
Aujourd’hui, je me trouve lancée dans une carrière de compositeure et je me dis que finalement, c’est le plus bel hommage à Beethoven, car en entrant dans ce travail de création j’ai le sentiment d’accéder à une compréhension encore plus subtile de son œuvre. Actuellement je suis trop prise par mes projets d’albums et de concerts autour de mes compos pour monter les 32 sonates, mais je compte bien y revenir à un moment donné.
En 2023 j’ai installé mon atelier de compositeure dans le 11e arrondissement de Paris. J’y donne aussi des master class et des concerts. À partir de janvier 2025, je vais ouvrir l’espace au public tous les jeudis pour des micro-concerts. J’invite aussi d’autres artistes qui souhaitent performer dans une ambiance conviviale qui allie haut niveau d’exigence artistique, prise de risque et convivialité. L’Espace Ochoa peut accueillir 18 personnes. C’est un lieu qui permet de tisser du lien, de se rencontrer, d’avoir des échanges de qualités, c’est pour moi une manière de résister à une tendance actuelle de fragilisation et de distanciation des liens. Ma musique qui est à la fois populaire et savante permet de réunir des gens de milieux très éloignés et qui n’ont pas beaucoup d’occasions de se rencontrer.
J’ai enregistré récemment un premier single « La traque » dont la sortie est prévue en février 2025. Il sera suivi d’un deuxième « Infarctus » puis d’un album.
Parallèlement à cela, un projet passionnant est en cours avec un saxophoniste et un chef d’orchestre new-yorkais, mais je ne peux pas en dire plus à ce sujet pour l’instant…
Ne ratez pas les showcase offerts par la mairie du 11e
14 novembre à 19h & 16 novembre à 15h
À l’Espace Ochoa – 23 rue Richard Lenoir