Nicolas ZIESEL est architecte : » Au fond mon vrai métier c’est de relayer, transmettre, ouvrir des possibles et des dialogues improbables »…
Partager

Nicolas ZIESEL

J’habite le 11ème depuis 30 ans. 


Mon premier engagement a été quand à 11 ans j’ai voulu rejoindre Greenpeace qui venait d’ouvrir un bureau à Paris. J’avais vécu 2 ans aux Etats-unis qui m’ont imprégné de la fascination pour la « wilderness » et sa protection – mais en passant à côté de l’aspect colonial de ce récit héroïque. On m’a gentiment expliqué qu’il allait falloir attendre un peu.  

J’ai continué à lire « National Geographic » et je suis passé à l’anti-nucléaire. « Nein Danke » est à peu près mon seul vocabulaire allemand encore aujourd’hui… J’habitais en Vallée de Chevreuse et mon père, chercheur au CNRS, militait contre les dangers pour la santé du stockage sans précaution des déchets nucléaires du CEA à Saclay au milieu des champs. 


Je détestais Paris, et je voulais que les écolos gagnent pour que ça ressemble à l’affiche des Amis de la Terre et Brice Lalonde pour les municipales. Un dessin qui m’inspire encore aujourd’hui dans mon travail!


J’ai fini par rejoindre EELV après 2007 après m’être impliqué dans l’accompagnement des familles sans papiers à l’école de ma fille, et avoir côtoyé des militantes et élu·es. Biberonné à Thoreau et Kafka j’ai toujours du mal avec l’arbitraire, l’abus de pouvoir et la déshumanisation bureaucratique. Je venais aussi de participer au montage d’une AMAP dans le 11ème. Et c’était une façon de passer de l’agir local au penser global!


À part ça je suis architecte. Quasiment au moment où j’ai monté avec un camarade notre atelier en 2000 on a décidé de s’engager sur la construction bois – alors qu’on venait d’une formation et de premiers boulots 100% béton – la drogue dure du développement urbain!


On était motivé autant par l’aspect renouvelable du matériau, que par son aspect sensible, « vivant », se patinant. Et le fait de faire se rejoindre des compétences de très haut niveau – les charpentiers ce sont les intellos du BTP- avec un usage « démocratique »: n’importe qui avec une scie et un marteau peut fabriquer et transformer son environnement de vie avec du bois. 


On a perdu 30 concours d’affilée… construit quelques maisons … et réalisé quelques projets en béton en continuant à forcer tous les freins, du psychologique au réglementaire, au développement du bois. On nous a longtemps regardé avec sympathie et compassion! 


Le premier projet d’ampleur que nous ayons réalisé ce sont des logements sociaux à Paris. Et la fierté vient autant d’avoir franchi un cap, enfin, que du fait que ça propose une façon de vivre en ville au milieu d’un jardin collectif – on avait prévu une zone en « friche » pour que les habitants installent un potager clandestin- et en relation avec ses voisins, la course du soleil, le vent et la pluie. L’aventure a continué avec le plus haut bâtiment 100% structure bois de France à Strasbourg, et en ce moment une partie du Village des Athlètes (avec une lutte au couteau contre le lobby béton), et le nouveau rectorat de Créteil.

Sensations, le plus haut projet 100% structure bois de France


Et puis le bois ce sont des arbres, des forêts, des écosystèmes. On est amené à se penser dans une chaine d’acteurs et d’êtres. J’ai été pas mal influencé par le travail des paysagistes pionniers comme Gilles Clément, et bien sûr par ce qu’on appelle aujourd’hui les humanités écologiques – lire, lire, lire, j’ai tous les jours l’impression de rattraper du temps perdu dans mes années de formation…. Et l’envie de dépasser une approche « techniciste » des questions environnementales dans l’architecture. Ce qui m’a a amené à créer aussi un petit bureau d’ingénierie environnementale, pour concilier approche écosystémique et  tous les calculs réglementaires.


Et d’autres propositions hasardeuses: une place publique au service de l’appropriation des petits délaissés urbains par les habitants, un quartier agricole (2000 logements 20 fermes de maraichage ) à Nantes – mais en 2012 quelle douleur pour un élu de rendre à l’usage agricole des terres devenues constructibles!, le Camping Vertical proposé pour Réinventer Paris en autofinancement avec Yes We Camp (devenus entre temps des compagnons de route)…

Jusqu’à notre proposition de transformer le grand site Tour Eiffel en « forêt urbaine » en doublant le nombre d’arbres, réduisant les allées, débitumant massivement et laissant une large part du projet se négocier progressivement. Heureusement en France, les concours d’architecture et de paysage sont rémunérés pour les perdants! Malheureusement les propositions « décalées » sont rarement retenues… y compris dans des villes qui se veulent engagées.


Depuis 6 ans une autre aventure a commencé pour développer de la construction bois sous les tropiques, en se demandant pourquoi des régions forestières avec des besoins en logement si cruciaux employaient si peu leurs ressources locales. Exode rural, urbanisation spontanée, pillage des ressources, impact démesuré du changement climatique, santé et démographie …

On est là au cœur des enjeux que nous devrions partager entre êtres humains, en attention constante avec les autres êtres vivants. Là aussi que de belles rencontres! Avec des forestiers au Gabon pour transformer les restes de bois de sciage en matériaux de construction pouvant lutter contre le combo parpaing-tôle: en une année c’est l’équivalent de 1000 logements au moins de bois qui est littéralement brulé dans la forêt parce qu’invendable à l’export. Au Cameroun pour construire un pavillon d’hébergement des familles dans un hôpital.

En Martinique et Guyane pour développer des logements sociaux utilisant des ressources locales – bois, terre, résidus de canne à sucre … il y a tant d’initiatives et d’énergie sur place, si mal entendue et soutenue localement ou globalement! 


Au fond mon vrai métier c’est de relayer, transmettre, ouvrir des possibles et des dialogues improbables. Alors je me suis retrouvé enseignant en école d’archi , mais que ce soit à Lille ou à Abidjan autour d’une pédagogie d’apprendre en faisant. A Abidjan par exemple les étudiant·es vont se frotter à des questions d’ingénierie, d’usage et de paysage en réalisant pour de vrai en une semaine de petits aménagements dans l’espace public – arrêt de bus, jeux pour enfants, kiosque. Faire prendre conscience qu’avec peu de moyens et de temps, mais aussi presque en jouant, on peut changer pour le mieux les conditions de vie c’est peut-être ce qui me porte le plus aujourd’hui.

C’est devenu concret en organisant des petites constructions dans la ville pour le Congrès Woodrise à Bordeaux, entre architectes, avec une classe de CM2, avec des lycée professionnels et peut être cette année avec des jeunes architectes japonais et ukrainiens! Ça nous a conduit à faire une cabane à la Villa Médicis, comme quoi tous les chemins… Ça a été un moyen de faire se rencontrer la sophistication des outils numériques – de la conception à l’usinage- avec une échelle qui soit celle de la main et de petites expériences sensibles.

Et pour aller plus loin créer notre atelier de fabrication – équipé en vrai outillage de pro ! pour créer du mobilier et des petites structures en bois de réemploi: aujourd’hui pour faire l’aménagement d’une halle en foodcourt avec Ground Control, en utilisant des caisses d’oeuvre d’art qui sinon finissent en déchetterie. Demain pour – peut-être – contaminer tous nos projets en fabriquant presque en direct  des lieux avec celles et ceux qui les vivent.

Pour tout voir :

www.koz.fr

ou sur leur compte Instagram : ici