Marc-André SELOSSE  « Agriculture bio, non-labour… Les solutions sont là. »
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Marc-André Selosse – Photographie « Born in PPM » par Marylou Mauricio – borninppm.com

À l’occasion de « Tous au compost 2025 », Marc-André Selosse, biologiste spécialiste des sols et professeur au muséum national d’histoire naturelle était l’invité de la Mairie du 11e pour nous permettre de mieux comprendre les sols en milieu urbain (vous pouvez retrouver la conférence en vidéo ici).

Nous vous proposons de (re)découvrir son portrait au travers de l’article de Florence Rosier, publié le 05 avril dernier dans le journal Le Monde :

Marc-André Selosse enfant.

« Ce spécialiste reconnu de la microbiologie des sols, professeur au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, prend depuis quelques années son bâton de pèlerin pour défendre l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre au collège et au lycée, ou pour vulgariser auprès du grand public les enjeux de l’agriculture de demain.


Les secrets de la nature vous captivent ? Vous avez le goût des champignons et des orchidées un peu étranges ? Alors vous n’avez pas pu passer à côté de Marc-André Selosse. Au fil de ses nombreux podcasts et interventions radiophoniques ou télévisées, le professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, sait l’art de décrire les senteurs de la terre humide ou les effluves d’un champignon ; d’expliquer l’origine des couleurs des feuilles à l’automne ; ou encore d’alerter sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité des sols. De toute évidence, il se plaît à exposer la foisonnante alchimie du vivant.


« J’ai toujours aimé raconter la nature, où je traîne depuis tout petit », confie ce spécialiste reconnu, à 56 ans, de la microbiologie des sols. Entre un père ingénieur des travaux publics et une mère géographe, « qui regardait toujours les paysages », il passe ses vacances à Belle-Île-en-Mer, dans le Morbihan. Et se souvient avec émotion de ses pérégrinations au bois de Vincennes, à Paris, qu’il arpente avec ses grands-parents.


« Ma curiosité a d’abord été esthétique, face à la diversité des formes, des couleurs et des goûts des végétaux. Ce qui m’ancre à la nature, c’est aussi un lien multisensoriel. » Sa discipline, souligne-t-il, repose d’abord sur l’observation ; après seulement viennent les interrogations scientifiques.
« C’est au bois de Vincennes qu’est née ma vocation de mycologue », dit-il. Tout est parti d’une consigne de son professeur de sciences naturelles, au collège : « Rapportez des champignons pour la semaine prochaine. » Il se prend au jeu, ramasse des spécimens dans ce bois, se passionne pour leur identification. Pholiotes dorées, stérées pourpres, leucopaxilles… sa collection s’enrichit. Dès l’âge de 10 ou 11 ans, il consulte des experts du MNHN – déjà –, qui accueillent avec bienveillance ce préado aux questions pointues. « Mes camarades d’école me surnommaient “le savant”. J’étais assez seul, mais pas harcelé. »


« L’attrait de ce qui est différent »


À 12 ans, il apporte son aide sur le Salon des champignons, organisé tous les ans au MNHN. A 17 ans, il fait une observation fondatrice : certaines orchidées blanches, en sous-bois, survivent alors même qu’elles ne font pas de photosynthèse pour fabriquer leurs propres sucres. « J’ai toujours eu un attrait pour ce qui est différent », confie-t-il.


Cette énigme le mettra sur la voie, en 2005, d’une découverte étonnante : certaines plantes vertes, comme des orchidées, cachent une « hétérotrophie » partielle. En clair, elles peuvent se nourrir en « pillant les sucres » transmis par un réseau de champignons du sol – eux-mêmes alimentés en sucres par les racines des arbres environnants, par une symbiose. « Ce pillage est une adaptation à la vie en sous-bois, où la lumière est parcimonieuse », explique-t-il. Certains individus mutants, comme ces orchidées blanches, sont même dépourvus de chlorophylle : ils dépendent entièrement de ces champignons pour survivre.


Le parcours de Marc-André Selosse est, disons-le, celui d’un excellent élève. Reçu parmi les tout premiers à l’ENS Ulm, il passe l’agrégation de sciences naturelles en 1991. Puis enchaîne avec un master de génétique et un diplôme d’ingénieur à l’École nationale du génie rural, des eaux et forêts (Engref). Il fera sa thèse à l’INRA (aujourd’hui Inrae) de Nancy en microbiologie forestière, avant de devenir enseignant-chercheur à Nancy. En 2004, il est professeur à l’université de Montpellier et chercheur au CNRS, où il restera dix ans. Il rejoint le MNHN à Paris en 2013, en tant que professeur, « avec le sentiment d’être arrivé à bon port ».


Parmi ses autres travaux marquants, ses recherches sur l’écologie des truffes. « Ces champignons ne sont pas seulement associés aux arbres. Ils sont eux-mêmes des parasites de petites plantes herbacées, explique-t-il. D’où l’apparition d’une zone d’apparence brûlée autour des chênes truffiers. »

« Passeur de sciences »


Il a aussi plongé dans l’histoire évolutive des mycorhizes, ces symbioses qui se tissent entre les champignons du sol et les racines des plantes, indispensables à la croissance des végétaux. Un domaine où il est « reconnu en France et hors de France », indique Philippe Vandenkoornhuyse, professeur d’écologie et d’évolution à l’université de Rennes.


Mais depuis quelques années, Marc-André Selosse est devenu « passeur de sciences », selon ses mots. Collèges et lycées, mairies, entreprises, agriculteurs, médecins, jardiniers amateurs… : « Je donne 250 conférences par an. Ma production scientifique en souffre, oui. Avant, j’écrivais moi-même six à huit articles par an, ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Une bascule assumée.


Il y a, bien sûr, quelques dents qui grincent, notamment dans la communauté scientifique. « Mais je crédite mes sources, plaide-t-il. Je valorise le travail de mes confrères de l’Inrae, du CNRS, des universités… » Pour Philippe Vandenkoornhuyse, « la vulgarisation nécessite parfois une simplification, qui peut gêner certains collègues. Pour autant, nous sommes peu nombreux à savoir expliquer avec autant de force les enjeux actuels de l’agriculture de demain. »


« Il me surprendra toujours, renchérit Mélanie Roy, maîtresse de conférences à l’université de Toulouse. Il peut donner une conférence à Montpellier et le lendemain être sur le terrain au Brésil ou à la Réunion, en quête d’orchidées ou de champignons. » Selon elle, « apprendre avec lui est un délice dont tous les étudiants se souviennent. De petites anecdotes en grandes questions, il nous guide, allant des observations sous microscope au verre de vin. »


Benoît Perez-Lamarque, lui aussi, a suivi son enseignement à l’ENS. « Il ne laissait personne indifférent. Certains étudiants ont pu avoir du mal avec le second degré qu’il maniait parfois, pour stimuler la réflexion. Mais il avait l’art de faire vivre son cours et de faire passer ses messages. » Autre atout, les sorties sur le terrain. « Il nous décrivait le champignon qu’il venait de découvrir sous nos yeux, expliquait son impact sur la biodiversité, élargissait au fonctionnement des écosystèmes… »


« Une urgence familiale »


Autre engagement, la défense de l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre (SVT). Dans les années 2000, le biologiste a participé à la révision des programmes de SVT du collège et du lycée, « y laissant une trace très visible », dit Benoît Perez-Lamarque, aujourd’hui maître de conférences à l’université de Toulouse. Il a aussi joué un rôle moteur dans l’introduction de l’écologie et des sciences de l’évolution en classes préparatoires de biologie (BCPST). Et préside aujourd’hui BioGée, une fédération d’institutions qui promeut plus d’enseignement des sciences du vivant


« J’ai été impressionné par sa capacité à entraîner l’ensemble de la commission [sur les programmes de SVT] vers sa vision de la biologie, très axée sur les écosystèmes », témoigne Alain Bessis, de l’ENS à Paris. « Rien ne lui fait plus plaisir que de faire comprendre le monde vivant aux autres, ajoute ce neuroscientifique. C’est un pédagogue dans l’âme. »


Mais pour Marc-André Selosse, « il n’y a pas encore assez d’heures de cours de SVT. Il faut aussi plus d’interdisciplinarité. C’est un travail de lobbying de longue haleine. »


Au vrai, ce touche-à-tout donne un peu le vertige. Avec d’autres, il alerte sans relâche sur l’importance de préserver la biodiversité des sols. Le message commence à se diffuser dans le monde agricole, « surtout au sein de la jeune génération », tempère Benoît Perez-Lamarque. Ces mois-ci, il rencontre également des parlementaires à propos de l’évolution de la loi « zéro artificialisation nette », en transit entre les deux Assemblées. « Le Sénat l’a dévitalisée, il faut voir ce qu’on peut sauver. »


Le mycologue, par ailleurs, conseille le domaine viticole de Château Cheval Blanc, qui s’est lancé dans l’agroécologie. À Saint-Emilion, sur un « laboratoire » de 16 hectares, des arbres fruitiers ont été plantés au milieu des vignes. Amélioreront-ils l’état sanitaire des vignes et des sols ? Réponse dans quelques années.


L’avenir de la planète, pour ce jeune père, est devenu « une urgence familiale ». « J’ai un petit garçon de 4 ans et demi. Le soir, je joue aux Lego. » Durant les vacances, il se déconnecte, nage, construit des châteaux de sable… Cherchant, en somme, à bâtir un avenir, contre vents et marées. »


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